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Pour accompagner ces personnes démentes dans la relation, il est nécessaire de partir de ce chaos, de le contenir afin de le transformer par une mise en forme qui permet d'organiser, d'associer, de créer des liens entre les éléments épars.
L’expérimentation des différents matériaux au sein des séances de médiation artistique permet de repérer, de discriminer et d’étayer les émotions qui sont les fils conducteurs vers les souvenirs enfouis. Alors la personne démente peut percevoir le sens de ce qui est vécu là. Ce sens peut être trouvé pour chacun des participants mais aussi en lien avec l'entourage, le monde extérieur.
La relation redevient possible. Le processus créatif proposé dans le cadre d'une médiation artistique est une quête de sens.
Hélène ne me parle presque jamais mais caresse les images des portraits de jeunes filles que je lui propose et peint dessus avec ses doigts. Elle soupire beaucoup et trace de façon pulsionnelle des traits tout autour des visages. Ses mains tremblent énormément, puis brusquement elle s’arrête. Je lui demande doucement si elle veut mettre un titre à son travail. Hélène semble perdue et ne me répond pas.
Après plusieurs séances Hélène organise une peinture tout autour d'un dessin qu'elle m'a demandé de lui faire. Elle le détoure et fabrique de multiples couleurs qu'elle applique consciencieusement à l'aide d'un pinceau. La dernière séance Hélène chantonne tout le long et donne un joli titre à son tableau : « la rêveuse ».
Pour Hélène, les séances de médiation artistique sont devenues peu à peu un espace où elle a pu librement déposer ses émotions, de façon chaotique au début, puis plus organisée et enfin apaisée. Par les mots prononcés en fin de séance, elle a trouvé le sens de ce qu'elle a vécu là.
La pensée "en morceaux" des patients déments déroute leurs proches qui cherchent désespérément à rattacher les fils de ce qu'ils connaissent.
Rose est une dame qui parle beaucoup. Isabelle la fille de Rose est au désespoir, elle s'épuise à venir toutes les semaines voir Rose qui ne la reconnait plus. Isabelle me dit que sa mère est partie, « elle ne me parle plus, je l'ai perdue ! » Rose a pourtant de drôles d'histoires à raconter. Les cheminées des immeubles face à sa chambre sont le théâtre de bien des aventures dans lesquelles se croisent des familles tumultueuses. Rose remplit l'espace de sa chambre avec ces nouveaux personnages.
Ils sont multiples, sans forme apparente, en chaos. Personne n'y comprend rien, ils sont comme un écran entre Rose et sa famille, entre Rose et le service.
Pourtant, lorsque tout au long des séances je m’applique à retranscrire le plus fidèlement possible ses délires dans un récit, que je l'organise, je vois, peu à peu apparaitre une scène qui se joue dans un grand jardin avec des arbres, beaucoup d'arbres, une mère absente, un enfant malade.
Lors de la dernière séance, Rose souhaite que je lui peigne une grande forêt afin de l'accrocher dans sa chambre. Ce tableau va permettre à sa fille mais aussi au personnel soignant de retisser les liens de la relation.
La médiation et l'objet médiateur, ici le récit puis le tableau, ont donné du sens à la parole de Rose. Ce sens trouvé change alors le regard porté.
La personne démente, objet de soin, passe du statut de patient à celui de créateur et ses mises en forme sont des tisseurs de liens, des invitations aux rêves, des passeurs de mondes.
C'est en associant l'équipe soignante et en permettant au service, grâce aux restitutions, de comprendre ce qui se joue lors des séances de médiation artistique, qu'une nouvelle attention à l'autre peut naître autour de la personne démente.
La médiation artistique donne la possibilité aux participants dans l'intimité des chambres mais aussi à l'ensemble du service de se réconcilier avec soi -même. Les pratiques de chacun s'en trouvent alors changées.
Véronique Ginisty-Izoard